LabVIES

École

Supérieure

d’Art de Lorraine

Volume - Interfaces - Espace - Scénographie

ARC RISK

Risk, catalogue/dossier de recherche, sous la direction de Christian Globensky et Jean-Denis Filliozat (LabVIES), Jean-Jacques Dumont et Hélène Guillaume, Paris, Cérap / Université de Paris 1 et l’ÉSAL, 2011

Une exposition des étudiants de l’Atelier de Recherche et Création, ARC Risk, mené par le LabVies, de l’École Supérieure d’Art de Lorraine, l'ÉSAL, Metz, invités par le CÉRAP, Université Paris 1, dans le cadre de leur partenariat de recherche.

 

« Belle composition, cette exposition, réalisée en écho à l'exposition de Metz, “Le pire n'est jamais certain“, l'ensemble orchestré en corrélation avec, hier, le colloque "La création à l'épreuve des risques majeurs" et, aujourd'hui, la parution de l'ouvrage "Esthétiques du pire". »

Ghislaine Perichet, Université de paris 1

 

 

Exercices de feintes aux risques idéologiques

de Christian Globensky, fondateur et coordinateur du LabVIES

 

Label Risk — (historique)

 

En 2008 - 2009, l’ÉSAL / site Metz et son laboratoire de recherche, le LabVIES (Laboratoire d’interactions multimédias Volumes, Interactions, Espaces et Scénographies) se sont rapprochés du Centre d’Études et de Recherches en Arts Plastiques de l’Université Paris1 (CÉRAP), et de son directeur, Richard Conte, pour développer ensemble un partenariat et un programme de recherche art/science. En 2009-2010, ce partenariat se structure dans une problématique de travail intitulée Le pire n’est jamais certain et concerne la question de la création plastique à l’épreuve des risques majeurs. Cet axe de recherche pose la question du rôle de l’artiste dans les grands enjeux de société : que peut l’artiste face aux risques majeurs ? Au-delà des réponses technologiques et scientifiques apportées à cet ensemble de questions, le LabVIES se positionne d’emblée en interrogeant plus spécifiquement nos différents types de réactions face à notre environnement multirisque et en leur prêtant des fondements idéologiques.

Fort de ce partenariat et dans le contexte de l’ouverture du Centre Pompidou-Metz, nous nous sommes associés à son directeur, Laurent Le Bon, afin de produire deux événements de portée internationale : un colloque et une exposition intitulés Le pire n’est jamais certain. Le colloque s’est ainsi déroulé à Pompidou- Metz, les jeudi 24 et vendredi 25 juin 2010, et l’exposition, qui a donné lieu à la publication d’un catalogue par l’ÉSAL, s’est tenue dans trois sites bordant la Galerie de l’ÉSAL, du 10 mai au 4 juillet 2010. Ces manifestations consacrées aux créations et positionnements d’artistes face à la question des risques majeurs et aux bouleversements sans précédent du monde contemporain globalisé, trouvent aujourd’hui leur aboutissement dans la publication des actes du colloque intitulée Esthétiques du pire, aux éditions Lienart, et dans une exposition des travaux des étudiants issus de l’Atelier de Recherche et Création (ARC) RISK à la Galerie Michel Journiac de l’Université Paris1. Cet ARC mené à l’ÉSAL, sous la direction des professeurs Jean-Jacques Dumont, Hélène Guillaume, Jean-Denis Filliozat et Christian Globensky, vient ainsi clore une ligne de recherche développée sur deux ans et investie par des étudiants qui ont aujourd’hui pour la plupart terminé leur Master2.

 

 

Label Risk — (introduction)

 

Les projets des artistes d’aujourd’hui questionnent souvent notre monde globalisé. Nous prenons conscience avec eux d’être tous embarqués, embarqués à bord du vaisseau-terre, dont nous devons contrôler les réserves d’énergies, maintenir la température constante et surveiller la qualité de l’air respirable. Il en va tout simplement de la survie de notre humanité. Il nous faut donc partir de ce que les artistes instaurent, entrer de plain-pied dans la singularité des œuvres et leurs environnements, en extraire ce qui attire l’attention, et en attise une prise de conscience. Dans l’actuelle post-culture des Lumières, du moins depuis Nietzsche, nous savons que les vérités scientifiques et philosophiques ont acquis un statut de simple opinion — ce que Gilles Deleuze appelle des « idées d’opinion » — et que la prétention aux vérités dites scientifiques est essentiellement dictée par la distance qui sépare notre actuelle connaissance de notre ignorance latente. Sitôt proclamées, elles peuvent donc être déconstruites et déconsidérées l’instant qui suit. Ces « médiations auto-évanouissantes », selon la formule de Jacques Rancière, tissent les liens de la relation artistique et pédagogique : le rôle dévolu à l’artiste-chercheur est de supprimer la distance entre son savoir et l’ignorance (supposée) du citoyen autonome : « Toute distance est une distance factuelle, et chaque acte intellectuel est un chemin tracé entre une ignorance et un savoir, un chemin qui sans cesse abolit, avec leurs frontières, toute fixité et toute hiérarchie des positions. »1 Ces exercices de feintes aux croyances idéologiques ont pour finalité de réduire progressivement le gouffre qui sépare la maîtrise objective et scientifique des opinions à celle menant aux risques idéologiques — l’obscurantisme de destruction massive émanant des opinions dites surnaturelles et religieuses, totalitaires et fascistes, médiatiques et politiques. Or, si les artistes sont souvent comparés à des sismographes, ils n’en construisent pas moins, comme les chercheurs, des modèles où la manifestation et l’effet de leurs compétences sont exposés, traduisant ainsi une nouvelle aventure intellectuelle.

 

 

Label Risk — (atelier de recherches et de créations plastiques)

 

Que peut l’artiste face aux risques majeurs ? Il serait plus qu’incertain de se hasarder à apporter une réponse à cette question qui représente pourtant la thématique de cette ligne de recherche intitulée Label Risk. Néanmoins, nous ne risquons pas d’émettre une hypothèse erronée en proposant que l’artiste diffuse une opinion — son opinion sur la nature des risques majeurs. Et comme on le sait, les diverses opinions sont soit partagées, soit rejetées par les citoyens autonomes — les spectateurs. Comment mesure-t-on aujourd’hui la valeur d’une opinion ? Précisément en déterminant combien de gens la partagent, au risque d’invalider le savoir scientifique et la raison d’État — la récente gestion entre scientifiques, pouvoir d’État et l’ensemble des citoyens au sujet de l’épidémie de grippe A est bien là pour en attester. Et c’est exactement ici que se met en scène un dialogue nouveau entre l’artiste citoyen et le spectateur émancipé.

Dès le début de cette recherche, nous avons réalisé qu’il nous fallait inverser le perspectivisme usuel de la sémiologie, qui va de l’émetteur d’une proposition donnée au récepteur en passant par son transmetteur pour apporter la question suivante : que peut le citoyen émancipé face aux risques majeurs ? Quel est le statut de ces opinions propagées à travers les masses médias, qu’elles émanent d’autorités scientifiques, religieuses ou gouvernementales ? Enfin, quels rôles jouent aujourd’hui les médias numériques de masse au sein de notre humanité augmentée ? Plusieurs thématiques de recherche se sont ainsi dégagées que les étudiants ont investies en affirmant sans détour une prise de position d’artiste citoyen à l’œuvre dans leur propre travail. Tous se sont donc confrontés aux interprétations d’opinions scientifiques sur les risques majeurs, aux manières dont elles circulent dans les masses médias ainsi qu’au rôle que jouent les États dans cette transmission. Nous nous sommes tous persuadés que les médias de masse qui constituent la « conscience publique »2 contemporaine mènent directement à un monde dominé par les risques idéologiques et où la « controverse scientifique »3 est représentée comme un champ de bataille dont l’issue des conflits dépend des seuls rapports de forces, d’intérêts économiques et gouvernementaux. La conscience écologique par exemple qui se présente comme l’antidote aux risques majeurs (la déforestation notamment) ou encore l’écologie du vivant jouant sa survie face à la pollution de l’environnement. Il s’agit bien ici d’une réflexion esthétique sur cette création autoplastique — entendez par là les ententes entre les hommes au sein de la biosphère — qui doit pouvoir se réguler dans des espaces collectifs.

Autre grande préoccupation : le terrorisme, la religion et l’endoctrinement idéologique. C’est au fond la pensée fondamentale de la Terreur, dans un sens le plus explicitement contemporain, qui est ici à l’œuvre, c’est-à-dire le langage de l’attentat : rendre impossible le prolongement de notre existence en nous plongeant dans un environnement invivable. Ce qui ne saurait mieux décrire le suicide global que les masses médias instaurent aujourd’hui quant à l’avenir de notre planète, de notre humanité. C’est pourquoi, encore une fois, l’artiste-citoyen et le citoyen-autonome n’ont d’autre choix que de s’émanciper d’un monde où la société du spectacle et celle de l’information ne font plus qu’une. L’expérience des catastrophes4 reproduite en boucle comme spectacle de l’information, qu’elle soit de nature terroriste ou religieuse — l’actuel Pape n’est-il pas sur le coup d’une inculpation de « crime contre l’humanité » ? — flirte aujourd’hui dangereusement avec les réseaux sociaux et les industries des jeux vidéo, où le piratage des identités s’apparente à l’endoctrinement idéologique mené par les complexes militaro-industriels.

De l’opinion que l’on peut se faire aujourd’hui quant aux risques majeurs, qu’ils soient d’ordre naturel ou technologique, nous ne doutons plus à l’issue de cette recherche que l’opinion médiatisée représente toujours un risque idéologique potentiel. Et c’est bien ainsi que nous voulons entendre le terme d’émancipation : un brouillage global des frontières entre ceux qui agissent et ceux qui regardent, entre individus et membres d’une communauté d’opinions, entre la sphère privée de la foi personnelle et la sphère publique de la communication visuelle. Ces recherches interrogent la nouvelle notion de psycho- immunologie, c’est-à-dire l’ensemble des manières dont on absorbe le monde et dont on s’en protège, et portent principalement sur l’appropriation de l’espace physique et informationnel afin d’éteindre leur nuisance et nous en renforcer. Et qui sait, peut-être assistons-nous à la naissance d’une « empathie interconnectée »5 à l’échelle d’une humanité augmentée ?

 

Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 17

Boris Groys, Peter Weibel, Medium Religion, Karlsruhe, ZKM, p. 12

Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Le Seuil, 2002, p. 23

Christian Globensky, « L’expérience des catastrophes » (en collaboration avec Thierry Hesse), Esthétiques du pire, Colloque international Le pire n’est jamais certain, au Centre Pompidou-Metz, organisé par le CÉRAP de Paris 1, et l'ÉSAL, Paris, Lienart, 2011

Christian Globensky, « L’Empathie interconnectée », L’Empathie, revue Le Cube N°1, Issy-les-Moulineaux, éditions Le Cube, 2011